Short Description
Safwân ibn Ummayya ibn Khalaf n’était guère différent de `Ikrima ibn Abî Jahl. Son père était lui aussi l’un des opposants les plus acharnés au Prophète (paix et salut à lui),
Safwân ibn Ummayya ibn Khalaf n’était guère différent de `Ikrima ibn Abî Jahl. Son père était lui aussi l’un des opposants les plus acharnés au Prophète (paix et salut à lui), et faisait partie de ceux qui l’avaient combattu à Badr. Safwân avait hérité de son père cette hostilité envers l’islam et les musulmans : il combattit le Prophète (paix et salut à lui) de toutes ses forces et fut avec Khâlid ibn al-Walîd parmi ceux qui prirent les musulmans à revers lors de la bataille d’Uhud, jouant ainsi un rôle majeur dans la mort de soixante-dix Compagnons. Il participa également à la campagne des Coalisés et prit part aux combats à l’intérieur de La Mecque.
Safwân ibn Umayya avait même comploté pour assassiner le Prophète (paix et salut à lui), avec son cousin `Umayr ibn Wahb qui était encore mécréant à l’époque. Safwân avait promis de payer pour `Umayr ibn Wahb des sommes importantes et d’acquitter ses dettes à condition que `Umayr aille tuer le Prophète (paix et salut à lui) !
Cependant la tentative avait échoué car `Umayr ibn Wahad (qu'Allah l’agrée)[1] était devenu musulman à Médine, lorsque le Prophète (paix et salut à lui) lui avait répété la conversation secrète qu’il avait eue avec Safwân près de la Ka`ba !
Le temps passa, et vint le jour de la prise de La Mecque. Safwân ibn Umayya prit la fuite : il ne trouva aucun refuge à La Mecque et sut qu’il ne serait accepté nulle part en Arabie, l’islam régnant désormais partout. Il décida de se jeter à la mer et de mourir. Safwân partit en direction de la Mer Rouge avec pour seul compagnon son serviteur appelé Yasâr[2]. Il arriva ainsi sur les rives dela Mer Rouge, dans un état d’extrême agitation. Apercevant de loin quelqu’un qui venait vers eux, il prit peur et dit à son serviteur : « Malheur à toi ! Va voir qui arrive ?
– Il s’agit de `Umayr ibn Wahb, lui dit le serviteur.
– Qu’ai-je à faire de `Umayr ? répondit Safwân Par Allah, il vient sûrement pour me tuer, car il est devenu musulman et s’est allié à Mohammad contre moi. »
`Umayr ibn Wahb rejoignit Safwân ibn Umayya et celui-ci lui dit : « `Umayr, ce que tu m’as fait ne te suffit pas ! Tu m’as laissé la charge de tes dettes et de tes dépendants, et voilà que tu viens pour me tuer.
– Abû Wahb, répondit `Umayr; puissé-je te servir de rançon ! Je viens à toi de la part du meilleur et du plus généreux des hommes. »
Ayant vu son cousin et ancien ami Safwân s’enfuir de La Mecque, `Umayr ibn Wahb avait eu pitié de lui et s’était hâté d’aller trouver le Prophète (paix et salut à lui) pour lui dire : « Messager d'Allah, le chef de mon clan s’est enfui pour aller se jeter à la mer, craignant que tu ne lui accordes pas la sécurité, toi pour qui je donnerais mon père et ma mère. »
Le Prophète (paix et salut à lui) répondit : « Je lui accorde la sécurité. »
Tout simplement !
Il agit envers lui comme avec `Ikrima.
Ces comportements n’étaient absolument par des incidents fortuits, mais représentaient bel et bien un mode de vie.
`Umayr ibn Wahb dit à Safwân : « Le Prophète (paix et salut à lui) t’a accordé la sécurité. »
Safwân eut peur et répondit : « Non, par Allah, je ne repartirai pas avec toi tant que tu ne m’auras pas rapporté un signe que je reconnaîtrai. »
`Umayr ibn Wahb se hâta au prix d’un grand effort de retourner à La Mecque, que quatre-vingts kilomètres séparent de la Mer Rouge, pour aller parler au Prophète (paix et salut à lui). Il lui dit : « Messager d'Allah, j’ai rejoint Safwân dans sa fuite, il voulait se tuer et je lui ai dit que tu lui avais accordé la sécurité : mais il m’a demandé de lui rapporter un signe qu’il reconnaîtrait. »
Le Prophète (paix et salut à lui) répondit, avec la plus sublime magnanimité : « Apporte-lui mon turban ! »
`Umayr repartit donc avec le turban rejoindre Safwân ibn Umayya. Lui montrant le turban, il lui dit : « Abû Wahb, je reviens de chez le meilleur des hommes, le plus généreux, le plus bienveillant et le plus clément. Sa gloire est la tienne, sa puissance est la tienne, son royaume est le tien : je t’en conjure, épargne ta vie.
– J’ai peur d’être tué ! lui dit encore Safwân, accablé.
– Il t’appelle à devenir musulman si tu le souhaites, répondit `Umayr, sinon, il te laisse deux mois pour réfléchir. »
Considérons la générosité de cette proposition du Prophète (paix et salut à lui) : si Safwân devenait musulman l’affaire était close et il aurait alors les mêmes droits et les mêmes devoirs que les musulmans ; s’il voulait prendre deux mois pour réfléchir, il pourrait le faire en toute sécurité.
Safwân ibn Umayya partit alors rejoindre le Prophète (paix et salut à lui) en compagnie de `Umayr ibn Wahb. Ils arrivèrent à la mosquée sacrée alors que le Prophète (paix et salut à lui) dirigeait la prière d’al-`asr. Comme ils attendaient que la prière soit terminée, Safwân demanda à `Umayr ibn Wahb : « Combien faites-vous de prières par jour ?
– Cinq prières, répondit-il.
– Est-ce Mohammad qui dirige leurs prières ?
– Oui, répondit-il. »
Lorsque le Prophète (paix et salut à lui) eut conclu la prière, Safwân l’interpella de loin : « Mohammad, `Umayr ibn Wahb est venu me chercher avec ton turban en affirmant que tu me demandais de venir et que je pouvais accepter l’islam ou avoir deux mois pour réfléchir. »
Le Prophète (paix et salut à lui) lui dit avec douceur et simplicité : « Mets pied à terre, Abû Wahb. (On remarque qu’il l’appelait par son surnom, un terme d’affection.)
– Non, par Allah, répondit Safwân toujours effrayé tant que tu n’auras pas confirmé tes intentions !
– Eh bien, je porte le délai à quatre mois ! dit alors le Prophète (paix et salut à lui).
Le Prophète (paix et salut à lui) laissa donc à Safwân quatre mois entiers pour décider de sa position.[3]
Peu après, le Prophète (paix et salut à lui) partit pour l’expédition de Hunayn et eut besoin d’armures et d’armes, comme nous le mentionnions précédemment. Safwân ibn Umayya était l’un des principaux marchands d’armes de La Mecque. Malgré les circonstances, le Prophète (paix et salut à lui) ne réquisitionna pas les armes de force, mais ne fit que les louer contre compensation. Il n’exploita pas la position de faiblesse où se trouvait Safwân et le fait que quasiment tous les Mecquois sauf lui étaient devenus musulmans.
Safwân accompagna les musulmans lors de l’expédition de Hunayn pour veiller sur ses armes. Au début de l’engagement les musulmans connurent un revers, puis le revers se transforma en victoire éclatante. Le butin atteignit des proportions que les Arabes n’avaient jamais connues auparavant, et le Prophète (paix et salut à lui) fit une chose qu’aucun chef militaire n’a fait avant lui dans l’histoire humaine : il partagea tout cet énorme butin entre les combattants sans rien garder pour lui.
Il donnait cent chameaux et moutons chacun aux musulmans dont les cœurs étaient à gagner[4]. Ces notables, éblouis par la perspective de tant de richesse, en oublièrent leur orgueil et leur fierté et allèrent à plusieurs reprises demander des dons : le Prophète (paix et salut à lui), quant à lui, ne repoussa aucune de leurs demandes mais tint à les satisfaire.
Safwân ibn Umayya, quant à lui, se tenait à l’écart à regret, assistant à la distribution des butins. Il était encore polythéiste et n’aurait droit qu’au prix de la location des armes… A ce moment, il se produisit quelque chose qui stupéfia Safwân mais aussi tous ceux qui assistèrent à la scène ou en entendirent parler ; un épisode qui restera une source d’étonnement jusqu’au Jour du Jugement.
Le Prophète (paix et salut à lui) appela Safwân ibn Umayya et lui donna cent chameaux, comme il l’avait fait pour les notables mecquois qui étaient devenus musulmans !
Peut-on imaginer qu’un être humain, si généreux et libéral soit-il, agisse de la sorte ? Et pourtant, les choses ne s’arrêtèrent pas là.
Le Prophète (paix et salut à lui) voyant que Safwân restait encore là, à contempler avec une évidente stupéfaction un défilé des montagnes de Hunayn rempli de chameaux et de moutons, lui dit avec douceur : « Abû Wahb, ce défilé te plaît ?
– Oui ! répondit Safwân en toute franchise. »
Il ne pouvait s’en détacher ni nier que le spectacle le laissait bouche bée !
Le Prophète (paix et salut à lui) lui dit alors simplement, comme s’il renonçait en sa faveur à un ou deux chameaux : « Il est à toi avec ce qu’il contient ! »[5]
La surprise laissa Safwân pantois, et la vérité qu’il n’avait pu voir pendant tant d’années lui apparut clairement. Safwân ibn Umayya ne put que dire : « Une telle générosité n’appartient qu’à un prophète. Je témoigne qu’il n’est de dieu qu'Allah, et que Mohammad est Son serviteur et Son messager ! »
Safwân devint musulman sur-le-champ.
Safwân ibn Umayya devait dire : « Le Prophète (paix et salut à lui) me combla tellement de cadeaux alors qu’il était l’homme que je détestais le plus, il me donna tellement, qu’il finit par devenir l’homme que j’aimais le plus au monde ! »[6]
Quel bien était arrivé à Safwân (qu'Allah l’agrée) !
Quel bien était arrivé à la tribu des Banû Jumah avec la conversion de son chef !
Quel bien était arrivé à La Mecque !
Quel bien était arrivé aux musulmans, qui voyaient s’ajouter à leurs forces celle du célèbre chef mecquois Safwân ibn Umayya, qui devint après cela un bon musulman et participa au jihâd dans la voie d'Allah !
Tout ce bien avait été réalisé grâce au don d’un abondant troupeau de chameaux et de moutons.
Quelle était la valeur de ces chameaux et de ces moutons ? Ce n’était que des bêtes que l’on mange et qui disparaissent.
Ce bas-monde tout entier, et pas seulement les chameaux et les moutons, est appelé à disparaître. Mais ce qui ne disparaît jamais, c’est le bienfait du Paradis. Combien d’êtres humains jouiront éternellement des bienfaits du Paradis parce qu’un jour ils auront reçu des chameaux et des moutons…
Le Prophète (paix et salut à lui) ne montre-t-il pas ici une compréhension profonde de la nature de ce bas-monde et de la nature de l’au-delà, de la nature des butins et de la nature de l’être humain ?
Le Prophète (paix et salut à lui) ne fit-il pas là un excellent calcul, dans son évaluation rapide de la valeur des choses ? Les troupeaux en échange de l’islam ! Ce bas-monde en échange de l’au-delà !
Le Prophète (paix et salut à lui) considérait que ces troupeaux, si abondants fussent-ils, n’étaient qu’un bien mince prix à payer pour obtenir une conversion à l’islam. Ils n’étaient pas importants à ses yeux – ce bas-monde tout entier n’était pas important à ses yeux. Il les donna sans hésiter, car à ses yeux ce bas-monde n’avait pas même la valeur de l’aile d’une mouche, ce bas-monde n’était qu’une goutte d’eau dans un vaste fleuve, ce bas-monde ne valait même pas autant que la carcasse d’un chevreau mort aux oreilles difformes. Tout cela n’était pas de la théorie philosophique : c’était une réalité que tous ses contemporains pouvaient voir de leurs yeux. C’était une réalité dans sa vie et dans celle de ses Compagnons, ainsi que dans la vie de tous ceux, musulmans ou non, qui avaient affaire à eux.
Il ne gardait rien pour lui-même.
Il ne gardait rien en prévision de la pauvreté ou de la vieillesse, lui qui avait atteint ou dépassé soixante ans.
Il ne conserva rien, mais distribua tellement aux gens qu’ils en perdirentla tête. LesBédouinsse mirent à s’amasser autour de lui pour lui réclamer des biens et des troupeaux pour eux-mêmes avant qu’il n’y en ait plus, allant jusqu’à le contraindre, lui le chef suprême victorieux, à prendre un arbre pour refuge. Les Bédouins lui arrachèrent même son manteau, sur quoi il leur dit avec douceur et courtoisie, et la bonté qui sied à un prophète et à un enseignant :
« Ô gens, rendez-moi mon manteau. Par Celui qui tient mon âme en Son pouvoir, si j’avais en ma possession autant de biens que les arbres de Tihâma, je les partagerais entre vous et vous ne me trouveriez ni avare, ni lâche, ni menteur. »[7]
Il n’était, en effet, ni avare, ni lâche, ni menteur…
Cette attitude du Prophète (paix et salut à lui) envers les différents notables se retrouve également dans son comportement envers Suhayl ibn `Amr.
[1] `Umayr ibn Wahab al-Jamhî al-Qurashî avait combattu à Badr aux côtés des polythéistes, puis tenté d’assassiner le Prophète (paix et salut à lui) : il était alors devenu un bon musulman et vécut jusqu’au califat de `Umar. Voir Ibn `Abd al-Barr, al-Istî`âb 3/294, Ibn al-Athîr, Asad al-ghâba 3/797, et Ibn Hajr, al-Isâba, titre n°6058.
[2] Abû Fukayha Yasâr était l’affranchi de Safwân ibn Umayya ; Ibn Ishâq le mentionne en ces termes : « Lorsque le Prophète (paix et salut à lui) s’asseyait en réunion, les plus faibles parmi ses Compagnons s’asseyaient près de lui : Hubâb, `Ammâr et Abû Fukayha Yasâr. Voir aussi Ibn Hajr, al-Isâba, titre n°10384, et Ibn al-Athîr, Asad al-ghâba, 5/249.
[3] Le récit est rapporté en entier dans al-Muwattâ’ d’après Yahyâ ibn al-Laythî d’après Mâlik d’après Ibn Shihâb (1132), ainsi que dans le recueil de `Abd ar-Razzâq d’après az-Zuhrî (12646).
[4] « Ceux dont les cœurs sont à gagner », al-mu’allafatu qulûbuhum, étaient les chefs arabes dont Dieu avait ordonné au Prophète (paix et salut à lui) de conquérir les cœurs, aux premiers temps de l’islam, afin qu’ils amènent avec eux leurs clans dans l’islam, et que l’esprit de clan et le manque de motivation ne les pousse pas à s’unir avec les mécréants contre les musulmans. On peut citer parmi eux al-Aqra` ibn Hâbis at-Tamîmî, al-`Abbâs ibn Mirdâs as-Sulamî, `Uyayna ibn Hisn al-Fazârî, ou encore Abû Sufyân ibn Harb. Voir Ibn Manzûr, Lisân al-`arab, article alifa 9/9.
[5] Ibn Sayyid an-Nâs, `Uyûn al-athar 2/253-434.
[6] Muslim, Livre des vertus, chapitre : « Jamais le Prophète (paix et salut à lui) ne refusait une demande ; et la générosité de ses dons » (2313).
[7] Rapporté par al-Bukhârî d’après Jubayr ibn Mut`im, Livre du khums, chapitre : « Ce que le Prophète (paix et salut à lui) donnait à ceux dont les cœurs étaient à gagner » (2979), par Ibn Hibbân (4820), et par Mâlik d’après Yahyâ al-Laythî d’après `Amr ibn Shu`ayb (977).
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